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« Paradoxes » par Alain Gueret

Alors qu’une enquête de CSA pour le journal « Les Echos » révèle que près d’un français sur deux se disait « pauvre » ou « en train de le devenir », ce même journal décerne son grand prix de l’économie 2012 au Président du conseil des ministres italien Mario Monti. Pas étonnant venant du quotidien économique libéral, rattaché au groupe de luxe LVMH, mais symptomatique de la fâcheuse tendance actuelle. Est aujourd’hui taxé d’homme providentiel et de prodige celui qui applique à son pays la cure d’austérité la plus sévère. La surenchère en ce domaine est patente comme si étrangler son peuple allait le faire revivre. Aux antipodes des louanges tressées par « Les Echos », il est intéressant de savoir comment le grand homme est perçu dans son pays notamment par ceux qui souffrent le plus de ses recettes miracle dont le but ultime est de rassurer les sacro-saints marchés.

Au 6 décembre 2012, la courbe de popularité du « sauveur de l’Italie » et pourquoi pas, puisque l’on est dans le dithyrambe, de l’Europe, était crédité de sa plus basse côte de popularité avec 33% d’opinions favorables. Grâce à son action efficace, le chômage en Italie est passé de 8,5% en 2010 à 10,8% aujourd’hui. Il n’a rien fait pour les plus faibles alors qu’il avait annoncé qu’il allait abolir les privilèges. Il n’a fait que mettre en œuvre les recettes européennes, préconisées actuellement pour sortir de la crise, à savoir cure d’austérité et libéralisation de l’économie. Il lui a suffi d’augmenter la durée des cotisations retraites, de réformer le marché du travail pour aller vers plus de « flexisécurité », idée lumineuse qui a fabriqué les « travailleurs pauvres » allemands et engendré « les minis jobs » dans ce même pays, d’augmenter les impôts et de réduire les dépenses par transferts de pans entiers des services publiques vers le privé. Elémentaire mon cher Monti ! La conséquence la plus fâcheuse de cette politique « austérophile » est d’avoir remis en selle l’infâme Berlusconi qui se pose à son tour « en sauveur de l’Italie au bord du gouffre » à l’annonce de la démission prochaine de Monti. Veillons à ne pas faire de même avec celui que nous avons battu le 6 mai 2012.

Le plus grave est que cette méthode fait école et qu’à l’instar de La Fontaine, on peut dire « qu’elle répand la terreur et que tous en sont frappés ». La partition jouée par tous les dirigeants européens ne souffre pas la moindre fausse note. Dans ce concert bien orchestré, le soliste François Hollande parvient parfois à faire entendre le son de sa voix en poussant le contre-ut en et en entonnant le grand air de la croissance et de la solidarité, un des succès de son répertoire. Mais, si certains des complets retiennent parfois l’attention et viennent enrichir l’œuvre commune, force est de reconnaître qu’il n’est réellement soutenu par aucun des grands ténors et que la diva Angela se refuse le plus souvent à oser le duo avec lui. Il n’est qu’à se souvenir des cris d’orfraie poussés lors de la timide augmentation du SMIC pour comprendre le fossé qui sépare ce qu’un homme de gauche attend de l’Europe et ce que ses dirigeants sont décidés à lui offrir.

Malgré cela, faut-il baisser les bras ? Un évènement m’aura conforté dans l’idée que la situation de notre pays, certes préoccupante, n’est pas aussi catastrophique que beaucoup veulent bien le dire et que des marges de manœuvre existent qui doivent être exploitées. Dix mois après Standard and Poor’s (j’aime bien le poor !), c’est l’agence de notation Moody’s qui dégrade la France et lui faire perdre son triple A. On les avait presque oublié celles-là. Depuis quelques mois, on aurait pu penser qu’elles avaient été supprimées où que pour le moins elles avaient décidé de se consacrer de nouveau à leur raison d’être première qui était d’évaluer les entreprises. Que nenni ! Les revoilà !
Cependant, et c’est là que je puise mon optimisme, cette nouvelle sanction d’un organisme de notation, n’a eu aucun effet sur les taux d’intérêts auxquels notre pays emprunte. Ils ont même été cette semaine au niveau le plus bas enregistré depuis longtemps soit 2%. Cela signifie que la confiance en la solvabilité de notre pays est toujours grande mais surtout que les marchés ont avant tout besoin de « fonctionner » en respect du vieux dicton anglo-saxon « Business is business » (les affaires sont les affaires)  et qu’ils suivent assez peu les avis émis par les agences de notation dont la crédibilité et l’objectivité sont de plus en plus mises en doute.

Par contre, la réaction de notre ministre des finances, Pierre Moscovici, m’a davantage interpelé. Dans ses conclusions, l’agence Moody’s affirme que les réformes avancées par la France pour rétablir la compétitivité sont insuffisantes et elle brandit la menace d’une prochaine dégradation. Outre le fait que l’on pourrait lui demander en vertu de quoi elle s’arroge le droit de juger les choix d’un pays souverain et de proférer des menaces, on sait par ailleurs très bien ce qu’en langage libéral « rétablir la compétitivité » veut dire en matière de prix à payer.

Que notre ministre des finances n’ait pas, d’une façon ou d’une autre, renvoyé la dite agence dans ses « 22 » au motif que le gouvernement français n’avait de leçons à recevoir de personne et qu’il n’avait pas mandaté Moody’s pour l’évaluer, m’a chagriné. Qu’au lieu de cela, comme un enfant prit les doigts dans le pot de confiture, il ait trouvé  dans la sentence de Moody’s comme une incitation pour le gouvernement à mettre en œuvre ses réformes m’a quelque peu inquiété. En effet, d’avance l’agence américaine juge que lesdites réformes seront de toute façon insuffisantes ce qui signifie que Moscovici n’a rien compris en s’entêtant à les mettre en œuvre. Ou alors, on ne nous aurait pas tout dit et cela m’inquiète. Existerait-il un plan B de réformes plus conformes aux souhaits des agences et des instances européennes. Je n’ose y croire et maintient une confiance inébranlable envers notre président et le gouvernement Ayrault. Mais ma réaction est celle d’un socialiste blanchi sous le harnais et qui n’en est plus à sa première couleuvre avalée. Mais qu’en sera-t-il demain des non militants, de cette foule qui a voté François Hollande et qui attend de lui qu’il soit autre chose qu’un clone de Mario Monti ?

Des réformes faisant partie des 60 propositions de notre candidat ont certes déjà été réalisées où sont en passe de l’être. Mais aucune ne touche encore de façon significative les grands sujets qui préoccupent les Français et qui sont le chômage, le pouvoir d’achat, le logement, la garantie de soins d’une même qualité pour tous, la possibilité de finir sa vie dignement soit tous les grands fondamentaux auxquels nous sommes les seuls à pouvoir nous attaquer. Si nous ne le faisons pas personne ne le fera.

Au moment où dans notre pays certains crient haro sur notre système de protection sociale, issu du Conseil National de la Résistance, en en stigmatisent le déficit récurrent et en proposant des transferts massifs vers les mutuelles et le privé, dans le pays du libéralisme un candidat, que l’on ne peut taxer d’être un dangereux gauchiste, est devenu président en proposant d’étendre la protection santé à plus de 30 millions de ses compatriotes. Certes, il ne s’agit pas exactement du même système que le notre et les difficultés rencontrées sont nombreuses, mais allons nous devenir plus libéraux que les américains ?

Demain, la France, en pays riche, va participer aux 44 milliards d’euros supplémentaires prêtés à la Grèce que l’on s’entête à maintenir, sous perfusion, dans la zone euro. Après-demain, la dette de ce pays sera inéluctablement effacée ce qui consiste à dire que l’argent prêté l’est à fonds perdus. Sachant que la Banque Centrale Européenne et le FMI ont d’ores et déjà dit qu’ils ne renonceraient pas à recouvrer leur part de la dette grecque ce sont les gros préteurs européens, France et Allemagne en tête, qui verront leur propre dette s’alourdir. On rêve à ce que l’on aurait pu faire en France avec ces milliards d’euros. Aujourd’hui, la dette grecque coûte près de 1000 euros à chaque français. Qui va se décider à siffler la fin d’une partie qui n’a que trop duré ? Chaque jour qui passe apporte la preuve que la Grèce n’a plus (n’a jamais eu ?) sa place dans l’Europe et apporte de l’eau au moulin du Front National. Ce boulet obère nos marges de manœuvre intérieures et il devient de plus en plus difficile d’expliquer à un smicard qu’on ne peut l’augmenter alors que le tonneau des danaïdes grec n’a toujours pas trouvé de fond.

François Hollande a été élu par les Français et, à l’inverse des autoproclamés qui administrent l’Europe, il est légitime pour appliquer les mesures de son programme, toutes les mesures. Le temps est venu de passer aux choses sérieuses.

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