Confession d’un lâche ordinaire

charlie-montmarsan

Je ne suis pas Charlie ! Charlie est courageux, droit dans ses bottes, menant un combat permanent contre la pensée unique, prêt à aller jusqu’au sacrifice, refusant de baisser la tête et de courber l’échine devant les extrémismes quels qu’ils soient, politiques ou religieux. Il clame tout haut ce que nous murmurons sous le manteau ; il affiche à la une ce que tous les autres taisent ; il refuse l’obscurantisme et met en pleine lumière les turpitudes de ceux qui ont institué le terrorisme en religion. Je ne lui viens pas à la cheville !

Je ne suis pas Charlie ! Je ne fais pas partie des 10 000 abonnés militants qui soutiennent aujourd’hui un journal qui allait disparaître. En 1992, lorsque Charlie sombra une première fois, je n’ai pas le souvenir d’avoir vu défiler dans les rues des cohortes indignées, brandissant des pancartes. Il en aurait été de même aujourd’hui quand Charlie aurait déposé son bilan, ce qui paraissait inéluctable. Quelques soixante-huitards irréductibles auraient fait un peu de bruit, quelques journaux auraient rédigé un article nécrologique larmoyant sur cette voix contestataire qui s’éteignait, et puis, très vite, nous serions passés à autre chose.

Je ne suis pas Charlie ! J’assume mes petites lâchetés dès lors que mon confort est un tant soit peu menacé. Je ne pense pas que, confronté aux menaces permanentes et de plus en plus précises dont Charlie était quotidiennement l’objet, j’aurais été capable de garder le cap. Je suis même sûr du contraire. En vieux militant de gauche, je n’aurais certes pas renié mes valeurs, mais je sais que j’aurais mis un bémol, soucieux de continuer à profiter le plus longtemps possible des douceurs et du confort de ma petite vie. Par procuration, Charlie a relayé mes révoltes, mes coups de gueule et mes indignations. Caché derrière lui, à l’abri des coups, j’ai jubilé de le voir se coltiner avec les méchants. Pas sûr que s’il avait eu besoin d’aide j’aurais été là.

Charlie a refusé ce que les autres acceptaient implicitement. Toute l’équipe, de la secrétaire au rédacteur en chef, ont refusé de céder à la terreur intégriste et ont continué comme si de rien n’était. Ils l’ont payé de leur vie, sacrifice ultime sur l’autel de la liberté d’expression. Tardivement, et alors que ça va leur faire une belle jambe, ils sont devenus mes héros et ceux de tout un pays qui, souvent, découvre qui étaient  ces hommes. Charlie est plus qu’un héros, Charlie est un martyr, le seul dans cette affaire qui mérite ce nom. Un adage éculé, mais plein de bon sens, affirme qu’il faut savoir dire aux gens qu’on les aime quand ils sont encore là. Je n’ai pas su dire je t’aime à Charlie.

Aujourd’hui, Charlie va sûrement, à titre posthume, être sauvé. L’élan de solidarité réel qui s’est levé dans le pays va sans aucun doute le tirer d’affaire. Je vais m’abonner bien sûr, comme des milliers d’autres. Je serai présent dans les rassemblements citoyens et j’applaudirai aux noms des journalistes et dessinateurs morts pour leurs idées. C’est bien le moins que je puisse faire pour eux. Mais, au fond de moi, je sais que jamais ça n’effacera des années de lâcheté et d’indifférence. J’ai laissé Charlie se battre seul. J’ai mené des petits combats confortables, à ma mesure de français moyen, accroché à son quant-à-soi. Suis-je différent d’une majorité d’entre nous ? Je ne le pense pas. Et c’est bien ça qui est affligeant.

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