Clandestins

Lampedusa, abandonnée par l’Europe.

Entre Malte et la Tunisie, à 300 kilomètres des côtes Libyennes et à 200 de celles de Sicile, l’île italienne de Lampedusa est depuis plusieurs jours dramatiquement sous le feu des projecteurs médiatiques. Stoïquement, courageusement, avec abnégation, les 6000 habitants de ce rocher méditerranéen accueillent quotidiennement des centaines de réfugiés, repêchent des centaines de cadavres, entourent de leur chaleur humaine des dizaines d’enfants hébétés, séparés peut être à jamais de leur parents. Une femme, admirable, est devenue le symbole de cet élan humaniste : Guisi Nicolini, le maire de Lampedusa. Fatiguée, éreintée mais animée d’une énergie qui force l’admiration, elle multiple en vain les appels au secours et crie sa honte devant l’inertie des instances européennes. Si son prédécesseur, Bernardino de Rubeis, fut un temps l’objet d’une enquête pour incitation à la haine raciale, Guisi Nicolini est définitivement à l’abri d’une telle accusation. Au passage, j’avoue que pas un seul instant je ne me suis préoccupé de la couleur politique de cette dame tant le drame qui se joue en Méditerranée dépasse les clivages. A l’époque, Marine Le Pen avait apporté un vibrant soutien au précédent maire. A ce jour, elle n’a pas encore félicité madame Nicolini pour le courage dont elle fait montre.

Ce que les médias n’ont pas assez souligné c’est que cette affluence d’émigrés fuyant la Tunisie, la Libye, la Syrie et d’autres pays d’Afrique dure depuis des mois et que Lampedusa, bastion avancé de l’Italie, est leur point de chute privilégié car étant la terre d’Europe la plus proche des pays qu’ils fuient. De tout temps, Lampedusa a chèrement payé cette position éloignée de la mère patrie. C’est ainsi qu’en juin 1943, obstacle italien sur le chemin du débarquement allié en Sicile, l’île fut durement bombardée par l’US Air force et que les habitants payèrent un lourd tribut à la libération de l’Europe.

L’Europe qui, aujourd’hui, détourne le regard, croisant les doigts pour que les digues humanitaires du sud de l’Italie résistent le plus longtemps possible aux marées émigrantes. Le drame humain est immense et l’indifférence européenne, au-delà des discours compassés de circonstance, jette un voile de honte sur l’institution toute entière.

Alors que l’Europe devrait être l’exemple de l’ouverture à tous les égards, on assiste à un repli frileux sur eux-mêmes de quasiment tous les pays de la communauté européenne ainsi qu’à une montée des nationalismes, négation s’il en est de la finalité même de la construction européenne. C’est l’essence même de l’esprit européen qui est en train de disparaître, idéal fait de solidarité, d’humanisme et de générosité envers les autres quels qu’ils soient et d’où qu’ils viennent.  Plus que jamais, les seuls crédos européens qui prévalent sont la régression sociale, la disparition progressive des droits acquis, l’alignement sur le moins disant social, le tout pour satisfaire l’appétit toujours croissant des marchés. Dans ce scénario, les sentiments n’ont pas leur place et sont une perte de temps.

Les valeurs socialistes, celles qui ont toujours sous-tendu mon engagement politique, je ne les retrouve à aucun moment dans l’Europe qu’on nous propose. Quand je vois le comportement de notre ministre de l’intérieur, qui se dit socialiste (pour combien de temps encore ?), je ne peux qu’être inquiet quand au type de socialisme que l’on va bientôt nous proposer. En voyant les mouvements de menton du premier flic de France, ses déclarations péremptoires et son attitude à l’égard de certaines minorités depuis toujours persécutées, le mimétisme avec l’un de ses prédécesseurs que l’on a tant combattu saute aux yeux : à quand le Karcher ?

Aujourd’hui, mon constat est amer : l’Europe a échoué dans tous les domaines qui me tenaient à cœur et qui faisaient de moi un chaud partisan de sa construction. Pas encore de salaire minimum dans tous les pays, pas de protection sociale pour tous, pas d’armée commune, pas de réelle diplomatie commune, une concurrence acharnée entre les pays membres du fait des inégalités sociales, une incapacité à imposer des règles démocratiques réelles dans les pays de l’ex block de l’Est qui rejoignent l’UE, des pays plongés dans la récession et la misère alors que dans le même temps les riches n’ont jamais été aussi riches et j’en passe tant la liste des manquements serait longue. La seule réussite réside dans la monnaie unique mais il s’agit avant tout d’une réussite pour les marchés que des parités et des monnaies disparates contrariaient car trop soumises au bon vouloir des états qui pouvaient dévaluer et réévaluer à leur guise.

Vous aurez compris que j’ai rejoint les rangs des déçus de l’Europe. Ce n’est pas pour cela que j’irais me jeter dans les bras du FN ou dans ceux de l’UMP qui par la voix de l’ineffable sénateur Marini, a déclaré que l’afflux d’émigrés à Lampedusa faisait regretter la chute de Kadhafi. On mesure, à la lumière de tels propos,  la lâcheté abyssale de la droite française qui n’en est pas à une contradiction près quand on sait que c’est l’homme qu’elle encense qui a précipité la chute du colonel libyen.

J’attends désormais, sans trop y croire, que l’Europe ait un sursaut de fierté et de courage et se préoccupe enfin du sort des hommes avant celui des marchés. C’est à ce prix et à ce prix seulement que je redeviendrais un fervent défenseur des institutions européennes. En attendant, les cadavres continueront à joncher les plages de Lampedusa et cela m’est insupportable.

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