Les décodeurs « Délinquance : les chiffres trompeurs de Claude Guéant »

Article provenant de l’excellent blog Les Décodeurs que nous vous invitons à découvrir ou redécouvrir !

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Le ministre de l’intérieur, Claude Guéant, était sur RTL mardi 29 novembre. L’occasion pour lui de marteler l’efficacité de l’action policière en France, au moment où le bilan de M. Sarkozy et de l’actuelle majorité sur la sécurité est contesté. Et quitte à travestir une nouvelle fois la réalité. Décodage en forme de piqûre de rappel.

« Je suis à peu près certain que cette année, pour la neuvième année consécutive, la délinquance va reculer dans notre pays »

Neuf ans de baisse de la délinquance, depuis 2002, le chiffre est très souvent martelé par le ministre de l’intérieur et par le gouvernement. Et il est généralement aussitôt contesté, pour plusieurs raisons, qu’il n’est pas inutile de rappeler à nouveau.

La « baisse de la délinquance » dont parle le ministre a déjà été maintes fois évoquée par lui ou ses prédécesseurs. M. Hortefeux avait même utilisé un tableau pour la prouver :

Selon ce chiffre officiel, après avoir augmenté de 17,8 % de 1997 à 2002, la délinquance serait depuis en baisse constante chaque année. Pourtant, à chaque fois, la même triple erreur est faite : il s’agit d’une baisse statistique, d’un indicateur agrégeant des phénomènes divers, et qui n’est pas considéré comme fiable par les statisticiens officiels de la question.

– Des statistiques dont la collecte pose question. Pour affirmer que la délinquance baisse, M. Guéant s’appuie sur les statistiques policières, qui enregistrent les « faits constatés », donc les procédures policières en cours. Première illusion : ce que décrit le ministre, c’est la baisse des statistiques officielles, pas de la délinquance elle-même. Et de fait, comme nous le précise une lectrice dans un mail, ces mêmes chiffres servent à mesurer le taux d’élucidation, c’est à dire le nombre d’enquêtes résolues par rapport aux enquêtes ouvertes. Le même outil sert donc à mesurer l’efficacité de chaque commissariat et l’ensemble de la politique de sécurité.

Depuis 2002 et la mise en place d’une « politique du chiffre », la statistique policière est très dépendante des pressions exercées par leur hiérarchie sur policiers et gendarmes. Le Monde reproduisait récemment une note d’un général de la gendarmerie, montrant bien de quelle manière l’activité policière est tributaire de la politique décidée au ministère. Du reste, d’anciens gradés de la police ont raconté par le menu les différentes méthodes utilisées pour faire monter ou baisser telle ou telle catégorie de faits constatés : recours à la main courante, requalification d’un délit en contravention… Les méthodes ne manquent pas.

Au final, donc, ces statistiques décrivent plus l’activité et les priorités des forces de l’ordre qu’elles n’indiquent réellement l’évolution de la délinquance.

– Une agrégation de faits différents, par essence non pertinente. Même en s’en tenant à ces statistiques, la notion de baisse « générale » ne veut rien dire. Le chiffre retenu par le ministre, rappelait la Cour des comptes dans un rapport de juillet, est celui de « l’agrégat de délinquance générale, correspondant à la totalisation des 107 index de l’état 4001, c’est-à-dire à l’ensemble des faits de délinquance non routière, enregistrés en France métropolitaine par les services de police et de gendarmerie ».

En clair, ce chiffre agrège des faits qui n’ont rien à voir entre eux, et vont des vols d’outils de jardinage aux meurtres en passant par les escroqueries ou les agressions sexuelles.

Depuis 2002, l’Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale (ONDRP) a pour mission de produire des statistiques fiables sur la délinquance. On ne peut pas accuser cet observatoire, créé par Nicolas Sarkozy, dirigé par Alain Bauer, un proche du chef de l’Etat, de chercher à s’opposer à la politique menée par M. Guéant. En janvier 2010, voici ce que précisait l’ONDRP à propos de l’agrégat de délinquance général :

« Il n’est pas un chiffre utile dans l’analyse des phénomènes de délinquance. Son utilisation comme chiffre unique, surtout lorsqu’il est assimilé à ‘la délinquance’, est une simplification grossière qui induit en erreur. Le projet même de mesurer en un seul chiffre ‘magique’ la délinquance est  illusoire, surtout si on s’en tient à la seule délinquance enregistrée sans tenir compte de données de victimation. »

En clair donc, les « fabricants » des statistiques de la délinquance disent eux-même de manière catégorique que l’indicateur que retient le ministre ne signifie rien. Année après année, le gouvernement continue pourtant d’affirmer que la ‘ »délinquance est en baisse » sur la base de cette compilation de faits constatés.

Même en conservant ces seuls « faits constatés », il suffit de distinguer simplement, comme le fait l’Insee à partir des mêmes chiffres de l’ONDRP et de la police, atteinte aux biens, atteinte aux personnes et infractions financières, même compte tenu des problèmes de méthodes dans leur collecte, pour nuancer ce bilan : si les atteintes aux biens (vols, cambriolages, dégradations)  baissent, les atteintes volontaires à l’intégrité physique, elles, sont en hausse lente, mais constante, depuis 1996. Selon ces chiffres officiels et contestables, les atteintes volontaires à l’intégrité physique sont ainsi passées de 5,4 à 7,3 pour 1 000 entre 2000 et 2009.

– Des enquêtes de victimation qui ne disent pas la même chose. Pour sortir du biais de la statistique policière, la recherche scientifique a développé des enquêtes « de victimation » : un questionnaire adressé à plusieurs dizaines de milliers de personnes pour savoir, de manière déclarative, si elles ont été victimes d’une atteinte à leurs biens ou leur personne.

Or la dernière mouture de l’enquête, menée par l’Insee et l’ONDRP, tend à nuancer fortement les propos du ministre, notamment pour la baisse des atteintes aux biens. Selon cette enquête, les Français ont déclaré avoir subi 4 millions de vols avec violence, contre 1,5 million enregistrés dans les statistiques officielles de police. Ce chiffre est surtout en hausse, de 0,2 point par rapport à 2008, même si les vols sans violence sont en baisse.

Comme le note le sociologue Laurent Mucchielli, il ressort de ces enquêtes que les violences sont globalement stables, et peu sujettes à des variations en fonction des politiques mises en place. En revanche, c’est le sentiment d’insécurité qui a tendance à augmenter légèrement depuis 2008, 20,6 % des personnes interrogées déclarant se sentir « parfois en insécurité », contre 19,4 % à l’époque.

Au final, donc, affirmer que « la délinquance est en baisse depuis neuf ans » s’avère donc plutôt faux, hors d’une statistique officielle et globale sans grande pertinence. Si les atteintes aux biens tendent en partie à baisser, y compris dans les enquêtes de victimation, la violence et les atteintes aux personnes, elles, sont en hausse, selon des statistiques policières qu’il faut éviter de surestimer. Et les enquêtes « de victimation » mesurent quant à elles un sentiment d’insécurité qui tend, lui, à augmenter.

De manière plus anecdotique, mais la coïncidence est amusante : Interrogé sur ces chiffres, mardi 29 novembre à l’Assemblée, Claude Guéant a commis un lapsus, et expliqué que « depuis 2002, chaque année, la délinquance a recruté dans ce pays ».

Samuel Laurent

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